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Comment des lettres de l’époque ottomane mettent en lumière les racines de la résistance palestinienne

Des lettres de doléance adressées par des Palestiniens au grand vizir de l’Empire ottoman des décennies avant la Nakba illustrent les dangers du colonialisme de peuplement sioniste pour la population autochtone et les prémices de sa résistance à l’injustice
Une photo datant d’avant 1937 pendant le mandat britannique montre des Arabes manifestant dans la vieille ville de Jérusalem contre l’immigration juive en Palestine (AFP)

Le début du projet sioniste et l’établissement des premières colonies en Palestine à la fin du XIXe siècle inaugurèrent une campagne systématique et délibérée visant à expulser et déplacer les Palestiniens de leurs terres.

Si la résistance palestinienne à ces efforts était parfois désorganisée et limitée par des contraintes financières, les écrits sionistes sur le sujet n’en ont pas rendu compte à sa juste valeur.

Deux lettres envoyées par des Palestiniens en 1890 et 1913 au grand vizir de l’Empire ottoman à Istanbul éclairent pour leur part cette réalité.

Les bédouins et paysans dans les campagnes de Palestine furent les premières communautés touchées par la construction des colonies sionistes au XIXe siècle. Le harcèlement et les agressions des colons à leur encontre s’intensifièrent dans une tentative visant à expulser les familles palestiniennes qui vivaient sur ces terres depuis des siècles.

L’arrivée initiale des colons fut soudaine et choquante pour les Palestiniens. Ces derniers ne pouvaient comprendre les affirmations des colons selon lesquelles ils étaient les propriétaires de la terre

Malgré leur style de vie simple, ces communautés palestiniennes comprirent rapidement les dangers du colonialisme de peuplement. Il n’est pas surprenant que le mouvement de résistance à l’occupation sioniste ait d’abord émergé au sein des communautés paysannes et bédouines, car leurs moyens de subsistance dépendaient de la terre en tant que telle.

De la fin du XIXe siècle à la création d’Israël en 1948, de nombreux affrontements eurent lieu entre ces communautés et les colons sionistes.

L’arrivée initiale des colons fut soudaine et choquante pour les Palestiniens. Ces derniers ne pouvaient comprendre les affirmations des colons selon lesquelles ils étaient les propriétaires de la terre et les résidents de longue date devaient quitter leurs foyers alors que leurs cultures n’avaient pas encore été récoltées. Les Palestiniens étaient les véritables propriétaires de la terre, après l’avoir labourée, cultivée et habitée pendant des siècles.

Dans les premiers temps du colonialisme britannique en Palestine en 1917, quelque 47 colonies sionistes existaient, centrées dans le nord et le centre du pays, et construites sur environ 55 000 dounams (mètres carrés) de terres saisies.

« Vendue à des étrangers »

Dans sa lettre envoyée en 1890, le clan palestinien des al-Sataria, qui vivait à Khirbet Darwan, se plaignait auprès du grand vizir de l’injustice, du harcèlement et des attaques qui suivirent l’établissement de la colonie de Rehovot sur ses terres.

« L’État ottoman exalté a récemment vendu la terre de Khirbet aux riches de la patrie. Vos fidèles serviteurs n’ont exprimé aucune objection à cela, car les nouveaux propriétaires de la terre avaient le savoir-faire, et que nous cultivons la ferme et en prenons soin depuis des temps immémoriaux. Ils n’ont essayé ni de nous stopper ni de nous expulser de nos lieux de résidence ou de nos fermes », indique la lettre.

« En revanche, dans ce cas, la ferme a été vendue à des étrangers qui sont arrivés avec de gros budgets et ressources économiques… Ils ont commencé à nous expulser de notre lieu de résidence et à nous empêcher de labourer la terre. »

Photo non datée, probablement prise dans les années 1930, montrant une vue générale de Jérusalem (AFP)
Photo non datée, probablement prise dans les années 1930, montrant une vue générale de Jérusalem (AFP)

Des plaintes furent déposées auprès du grand vizir contre une multitude de nouvelles colonies, illustrant le fait que les Palestiniens ne se rendirent pas au statu quo, malgré leurs capacités limitées et les ressources économiques substantielles des étrangers – ainsi que le soutien officiel dont ils bénéficiaient.

Ces lettres constituaient une déclaration de la part des Palestiniens qui vivaient sur ces terres : ils résisteraient à l’injustice qui se déroulaient sous leurs yeux.

Ceci se produisait dans le cadre d’une résistance organisée contre les tentatives de les chasser de leurs terres et de les voler de leurs droits. La lettre du clan des Sataria révèle qu’ils étaient conscients de leurs droits de rester sur leurs terres : le fait que l’État transférait la propriété aux riches étrangers pouvait donner aux propriétaires des droits sur certaines cultures, mais pas celui d’expulser ceux qui y vivaient.

Conscients de leurs droits

La lettre ne fait pas référence aux méthodes utilisées par les colons pour expulser et déplacer les Palestiniens, ni ne mentionne leurs propres plans pour contrarier la viabilité de la nouvelle colonie et empêcher ainsi leur propre expulsion. Néanmoins, une lecture attentive et critique des documents rédigés par les colons de Rehovot et des colonies voisines permet d’éclairer ce point.

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De nombreuses sources juives documentant l’établissement de ces colonies affirment que la région était vide de sa population et en ruine – et que les nouveaux colons apportaient le salut et une opportunité de croissance. Cela correspondait au slogan sioniste d’« une terre sans peuple pour un peuple sans terre ».

Or la lettre du clan des Sataria réfute catégoriquement cette affirmation, faisant référence aux habitants qui vivaient depuis longtemps sur cette terre et la cultivaient.

D’autres sources juives suggèrent que les Arabes de cette région étaient de violents agresseurs qui pillaient et volaient les propriétés des colons et ne respectaient pas leurs droits sur leurs terres. Alors que le clan des Sataria considérait la récolte en cours de leurs terres comme un droit légitime, les nouveaux colons la voyaient comme du pillage et du vol.

« Meurtres, pillages et viols »

Des décennies plus tard, en 1913, une autre lettre adressée au grand vizir fut signée par des dizaines de moukhtars et personnalités dotées de pouvoirs juridiques de villages proches des colonies juives, notamment Zarnuqa, al-Qubayba, Yibna et al-Maghar, sans la participation de représentants des villes voisines.

Les villageois s’y plaignaient du comportement des nouveaux colons, citant « leurs agressions contre nos villages, leurs meurtres, pillages et viols ». Face à un tel assaut, notait la lettre, « nous sommes désormais très inquiets et subissons des troubles uniques, jusqu’à ce que, Dieu nous en garde, la nécessité nous oblige à émigrer de notre patrie, malgré l’amour et l’amitié que nous lui portons ».

Dans toutes les zones palestiniennes adjacentes aux colonies sionistes, les paysans et les bédouins furent le fer de lance de la lutte contre le colonialisme

« Tout paysan qui passe sur la route est saisi et battu, puis ils lui prennent ses vêtements et son argent. Quiconque les défie est tué et ils tirent à balles réelles sur les passants sur la voie publique », poursuit la missive.

Celle-ci met en évidence le danger ressenti collectivement par les citoyens palestiniens à l’époque, des décennies avant la Nakba. Les signataires ne mentionnent pas comment ils réagirent au harcèlement des nouveaux colons, mais des documents issus des archives de Rehovot indiquent que les habitants du village de Zarnuqa tuèrent l’un des colons.

Dans toutes les zones palestiniennes adjacentes aux colonies sionistes, les paysans et les bédouins furent le fer de lance de la lutte contre le colonialisme – une lutte qui se poursuit encore aujourd’hui.

- Jihad Abu Raya est un avocat et activiste palestinien basé dans le nord d’Israël. Il est l’un des fondateurs du mouvement Falestaniyat.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Jihad Abu Raya is a Palestinian lawyer and activist based in northern Israel. He is a founder of the Falestaniyat movement.
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