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Très chère Algérie : pendant l’été, les prix des billets d’avion s’envolent

La fermeture du ciel algérien à la concurrence fait grimper les tarifs des billets d’avion, surtout pendant la période estivale propice aux vacances au pays. Au point que certains Algériens de la diaspora préfèrent y renoncer
Le 21 avril, Air Algérie a annoncé une nouvelle offre, « Osrati », destinée aux familles algériennes de la diaspora (AFP)
Le 21 avril, Air Algérie a annoncé une nouvelle offre, « Osrati », destinée aux familles algériennes de la diaspora (AFP)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

Pour Madjid, 45 ans, et Sakina, 39 ans, la décision est déjà prise. Cette année, il n’y aura pas de vacances estivales à Béjaïa (à l’est d’Alger).

Le couple d’Algériens qui réside avec ses trois enfants à Champigny, dans la région parisienne, ne peut pas supporter le coût de cinq billets d’avion cédés au prix fort : pour un aller-retour prévu entre la mi-juillet et la mi-août sur Air Algérie, la compagnie aérienne nationale, le couple et ses enfants auraient dû débourser un peu plus de 3 200 euros.

« Cela représente plus que nos deux salaires mensuels réunis », s’étrangle Madjid, employé au SMIC dans une entreprise de manutention, interrogé par Middle East Eye.

« Nous avons l’habitude de nous priver de beaucoup de choses pour économiser l’argent du voyage. Mais les prix deviennent de plus en plus déraisonnables », dénonce son épouse, qui travaille à domicile comme assistante maternelle, peinée de ne pas rendre visite à ses proches.

« Les compagnies aériennes exploitent notre attachement à notre pays pour pratiquer les tarifs qu’elles veulent. C’est du vol ! »

Pour la même période, les tarifs d’Air France, la seconde compagnie qui dessert le territoire algérien, sont tout aussi rédhibitoires. Même Transavia, la filiale low-cost du transporteur français, ou encore Tassili Airlines (qui appartient au groupe pétrolier algérien Sonatrach), affichent des tarifs exorbitants pour l’été.

« Sans l’ouverture du trafic aérien à la concurrence, les prix continueront d’être prohibitifs », prévient dans un entretien avec MEE Abdelouahab Yagoubi, député des Algériens à l’étranger à l’Assemblée nationale algérienne, l’APN.

Depuis son élection en 2021, le parlementaire n’a cessé d’interpeller les autorités algériennes sur le problème du coût des billets. En juin 2022, il avait adressé une lettre à l’ex-premier ministre Aïmene Benabderrahmane pour dénoncer « l’injustice » infligée aux expatriés à cause de la grille tarifaire élevée des compagnies qui ont la mainmise sur les liaisons entre l’Algérie et la France, où vit la plus grande communauté d’émigrés algériens.

De nouvelles compagnies annoncées en… 2022

En 1999, l’État algérien avait pourtant décidé de faire jouer la concurrence en ouvrant l’espace aérien, comme d’autres secteurs stratégiques de l’économie nationale, à des entreprises privées. Mais l’expérience a tourné court.

Khalifa Airways, une compagnie de droit algérien, a été mise en liquidation judiciaire, quatre ans après sa création, pour des créances impayées, et son fondateur, Rafik Khalifa, condamné à dix-huit ans de prison pour détournement de fonds et usage de faux.

En 2006, la France et l’Algérie ont conclu un accord pour restreindre le nombre de transporteurs et soumettre à l’approbation des autorités aéronautiques des deux pays le programme des vols.

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En 2022, le président Abdelmadjid Tebboune a demandé au gouvernement de délivrer des agréments à de nouvelles compagnies. Pour l’instant, le dossier est au point mort.

Actuellement, sept compagnies assurent des vols entre la France et l’Algérie. En plus d’Air Algérie, de Tassili Airlines, d’Air France et de Transavia, il y a les compagnies low cost Vueling et Volotea (espagnoles) ainsi qu’ASL Airlines (française).

Or à l’inverse d’autres destinations, ces trois compagnies pratiquent sur le couloir France-Algérie des prix plutôt élevés. Les tarifs de Vueling, par exemple, pour la période choisie par Madjid et Sakina, se rapprochent beaucoup des tarifs d’Air Algérie.

« C’est un marché oligopole. Des ouvertures existent mais elles profitent à un nombre limité de compagnies qui tirent les prix vers le haut », affirme à MEE Jugurta Ayad, président de l’association communautaire établie en France ADDRA (Algériens des deux rives et leurs amis).

Sur les réseaux sociaux, les tarifs annoncés pour l’été soulèvent un tollé. « Merci Air Algérie pour le billet le moins cher au monde », ironise un usager en publiant la capture d’écran d’une réservation.

La compagnie est également attaquée sur sa propre page Facebook avec des commentaires acides de clients exaspérés.

« Nous ne pouvons pas appliquer les règles de l’économie de marché dans une situation de monopole. C’est impossible »

- Abdelouahab Yagoubi, deputé des Algériens à l’étranger

Pour répondre au mécontentement généré par les prix des billets, le gouvernement algérien a mis en place il y a trois ans une commission d’enquête. Face à des ambassadeurs, Aïmene Benabderrahmane avait jugé « inacceptable » que le prix [du billet Alger-Paris] atteigne 970 euros » en période estivale.

Le chef de l’État lui-même est intervenu en 2022 dans cette affaire pour demander à Air Algérie de revoir ses prix à la baisse au profit de la communauté algérienne établie à l’étranger.

La compagnie, qui avait annoncé à la suite de cette demande « une baisse imminente » des tarifs, n’a finalement pas tenu sa promesse.

Dans une audition au Parlement, l’ex-PDG de la compagnie avait justifié l’envolée des prix par la logique de l’offre et de la demande.

« D’un côté, on ferme le marché par une décision administrative, y compris avec des accords comme celui de 2006, et d’un autre côté, on parle de l’offre et de la demande. Nous ne pouvons pas appliquer les règles de l’économie de marché dans une situation de monopole. C’est impossible », réagit Abdelouahab Yagoubi auprès de MEE.

Des tarifs « dix fois plus chers que la moyenne »

En colère, le député dénonce les marges bénéficiaires excessives de la compagnie aérienne algérienne. « Les tarifs sont dix fois plus chers que la moyenne pour les trajets de même distance », observe-t-il pour MEE, estimant que le coût de revient du billet pour un passager ne doit pas dépasser les 70 euros en incluant tous les frais, y compris le kérosène, le personnel navigant, le personnel au sol, la maintenance et les taxes aéroportuaires.

En février, un nouveau directeur général, Hamza Benhamouda, a été nommé à la tête d’Air Algérie. Auditionné à son tour par les députés en mars, celui-ci a également promis une baisse des tarifs. Mais les clients ne voient rien venir.

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« J’ai cessé d’espérer depuis longtemps », conclut Ahmed, un sexagénaire habitant comme Madjid et sa femme à Champigny.

« Avant, j’embarquais tous mes enfants dans la voiture et nous prenions le bateau jusqu’à Oran. Mais maintenant, je n’ai plus la force de conduire aussi loin. Alors avec ma femme, nous achetons quand même les billets. C’est cher et ma pension est dérisoire. Mais avons-nous vraiment le choix ? »

Le 21 avril, Air Algérie a annoncé une nouvelle offre, « Osrati », destinée aux familles algériennes de la diaspora. Selon le député Yagoubi, les billets seront plafonnés à 250 euros pour un aller-retour Paris-Alger et à 185 euros pour un aller-retour Marseille-Alger.

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