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Un rapport révèle des « massacres délibérés » d’Éthiopiens le long de la frontière entre l’Arabie saoudite et le Yémen

Selon un réseau international de recherche sur les migrations, de nombreux travailleurs migrants sont systématiquement tués au quotidien par des agents de sécurité saoudiens
Des Éthiopiens dans un camp de réfugiés africains dans le district de Khormaksar à Aden, Yémen, le 3 mars 2022 (AFP)

Les travailleurs migrants éthiopiens sont systématiquement pris pour cible et tués au quotidien par des agents de sécurité saoudiens qui tentent de dissuader les gens de traverser la frontière saoudo-yéménite, selon un rapport.

D’après l’enquête publiée cette semaine par le Mixed Migration Center (MMC), un réseau international de recherche et d’analyse sur les migrations, des Éthiopiens ont été visés par des tireurs d’élite et des tirs de mortiers.

Bram Frouws, directeur du MMC, affirme que la situation est critique.

« Les abus sexuels, y compris des viols, sont répandus », déclare-t-il à Middle East Eye.

« Il y a des violences physiques, des actes de torture, des détentions arbitraires – tous [les migrants] disent avoir essuyé des tirs, que des gens mouraient autour d’eux à la frontière septentrionale entre l’Arabie saoudite et le Yémen. »

La frontière saoudo-yéménite est devenue particulièrement dangereuse ces dernières années : quelque 430 morts et 650 blessés ont été recensés entre le 1er janvier et le 30 avril 2022.

Les meurtres et attaques dont les Éthiopiens ont été victimes ont eu lieu sur la route entre al-Jawf et Sadah au Yémen, une région contrôlée par les Houthis. Des attaques ont également eu lieu dans la province de Jizan en Arabie saoudite.

Traduction : « Découvertes choquantes : massacres délibérés de centaines de migrants #éthiopiens par des agents de sécurité sous l’autorité de l’État saoudien à la frontière entre l’Arabie saoudite et le Yémen. Ces atrocités nécessitent une attention et une indignation internationales immédiates. »

Un survivant a déclaré le mois dernier à MMC que lui et ses compagnons étaient dérangés par « l’odeur âcre » des cadavres. Un autre a affirmé que lorsque la caméra de sécurité les repérait, les gardes-frontières tiraient à coup d’explosifs lourds.

Les Nations unies ont déjà alerté sur le problème. En octobre 2022, plusieurs rapporteurs spéciaux ont évoqué les meurtres dans une lettre, décrivant « des violations flagrantes des droits de l’homme à l’encontre des migrants ».

Les données compilées par l’ONU indiquent que 30 % des victimes étaient des femmes et 7 % des enfants.

La lettre évoque également des actes de torture, des détentions arbitraires, un trafic d’êtres humains et des abus sexuels.

Point de transit

La frontière entre l’Arabie saoudite et le Yémen est devenue un point de transit majeur pour les personnes se déplaçant entre la Corne de l’Afrique et le royaume saoudien.

De nombreux réfugiés et migrants s’appuient sur des réseaux de trafiquants pour faire le voyage, ce qui les rend vulnérables à la violence.

Les migrants qui tentent de traverser la frontière viennent principalement d’Éthiopie.

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L’aide humanitaire a été limitée dans la région, dans la mesure où le personnel médical est incapable d’atteindre les blessés.

Ceux-ci ont également du mal à se faire soigner car la région ne compte qu’un seul hôpital situé dans une zone reculée et difficile d’accès.

Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement vulnérables au point de passage, où elles sont confrontées à un risque élevé de violences sexuelles.

Selon Bram Frouws, la majorité des victimes sont des hommes, mais on déplore un nombre croissant de victimes de sexe féminin.

L’organisation yéménite Mwatana for Human Rights s’est rendue dans la région de Saada et Souk al-Raqo, dans le nord du Yémen, du 14 au 18 mai 2022.

L’équipe s’est entretenue avec des personnes qui avaient été conduites dans un centre de détention et, avec des médecins, a découvert qu’elles avaient été soumises à « des violences externes extrêmement graves à l’aide d’un outil dur ou de la violence ».

D’après le groupe de rapporteurs onusiens, les migrants sont obligés de financer leur voyage vers la frontière saoudienne par le travail forcé, le trafic de drogue et parfois même l’exploitation sexuelle.

Les conditions de voyage sont désastreuses, avec un accès limité à l’eau, et les femmes sont particulièrement exposées au risque de violence et d’abus.

Aucune enquête lancée

Selon le MMC, aucune enquête effective n’a été ouverte jusqu’à présent sur les meurtres ou les violations commises.

« Une enquête formelle et indépendante est exactement ce dont nous avons besoin », souligne Bram Frouws.

« Une enquête formelle et indépendante est exactement ce dont nous avons besoin »

- Bram Frouws, directeur du Mixed Migration Center

« Ce sont des informations extrêmement inquiétantes et graves […] une enquête est nécessaire pour aller au fond des choses et obliger les responsables à rendre des comptes. Nous le devons aux victimes. »

L’Arabie saoudite a répondu aux allégations par l’intermédiaire de sa mission permanente à Genève, en les réfutant et en déclarant n’avoir trouvé aucune preuve démontrant que des violations flagrantes du droit à la vie avaient eu lieu.

Le MMC estime que le nombre réel de personnes tuées et blessées pourrait être plus élevé que ce qui a été rapporté, s’appuyant sur des témoignages et des recherches indépendantes menées auprès de travailleurs migrants éthiopiens.

Human Rights Watch a aussi par le passé appelé à de nouvelles enquêtes sur les meurtres et les violations des droits humains, déclarant que la plupart des personnes passant par le Yémen depuis l’étranger étaient des réfugiés et des demandeurs d’asile, et faisaient partie des personnes les plus touchées par le conflit.

Traduit de l’anglais (original).

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