Aller au contenu principal

Pas de pause pour les footballeurs musulmans durant le Ramadan : la polémique enfle

Au nom de la laïcité, la Fédération française de football a instruit les arbitres de ne pas permettre la rupture du jeûne durant les matches
Banderole du Collectif Ultras Paris du PSG, dimanche 2 avril 2023 au Parc des Princes, à Paris (Twitter)
Banderole du Collectif Ultras Paris du PSG, dimanche 2 avril 2023 au Parc des Princes, à Paris (Twitter)

L’interdiction de pause pour les footballeurs pour rompre le jeûne du Ramadan en France a suscité une vive polémique.

Jeudi, Éric Borghini, président de la Commission fédérale des arbitres, a envoyé un « rappel au règlement » aux arbitres : les interruptions de matches liées à la rupture du jeûne, en soirée, « ne respectent pas les dispositions des statuts de la FFF [Fédération française de football] », affirme l’instance française de l’arbitrage.

« L’idée est qu’il y a un temps pour tout. Un temps pour faire du sport, un temps pour pratiquer sa religion », a justifié Éric Borghini auprès de l’AFP.

« En 2023, on peut arrêter un match vingt minutes pour des décisions, mais pas une minute pour boire de l’eau »

- Lucas Digne, joueur français d’Aston Villa

Pour ce membre du comité exécutif de la FFF, il s’agit simplement de « l’application scrupuleuse de l’article premier des statuts de la fédération sur le respect exigeant du principe de laïcité dans le football ».

Selon lui, la FFF a été informée qu’« un certain nombre de rencontres de niveau amateur [avaient] été arrêtées pour permettre aux joueurs pratiquant le jeûne de s’hydrater » et ce, « sans que le règlement ne le permette ».

Le milieu du football a depuis réactivé le débat, ancien et régulier, sur ce que doit être la laïcité à la française : la liberté d’exercer son culte librement, ou la primauté des règles communes sur les croyances religieuses.

« Une datte, un verre d’eau, le cauchemar de la FFF »

« En 2023, on peut arrêter un match vingt minutes pour des décisions, mais pas une minute pour boire de l’eau », a soupiré sur les réseaux sociaux Lucas Digne, le latéral français du club de foot anglais Aston Villa.

« Une datte, un verre d’eau, le cauchemar de la FFF » : la banderole du Collectif Ultras Paris, dimanche au Parc des Princes, était cinglante envers la Fédération française de football, dont la position ferme sur le Ramadan tranche avec l’attitude plus conciliante des pays voisins.

En Angleterre, des pauses sont tolérées pour permettre aux joueurs musulmans de rompre le jeûne durant le mois du Ramadan, qui a commencé le 22 mars.

Cela a également été le cas pour la première fois ces derniers jours dans le championnat néerlandais, tandis qu’en Allemagne, le patron des arbitres a annoncé l’année dernière qu’il soutenait ceux qui décideraient d’accorder ce genre de pause.

En Italie et en Espagne, aucune disposition n’est prévue mais le débat n’a pas été ouvert : le Marocain Sofyan Amrabat (Fiorentina) a par exemple profité de l’entrée des soigneurs sur la pelouse pour se nourrir, samedi soir.

En Premier League, l’usage des pauses existe depuis deux ans, sous l’impulsion du Français Wesley Fofana et du Sénégalais Cheikhou Kouyaté, joueurs de Leicester et Crystal Palace à l’époque, qui ont pris le temps de se restaurer en plein match.

« Je suis né en France et j’y ai travaillé, mais il y a une grande différence entre la France et l’Angleterre. Les Anglais montrent le bon exemple », a estimé Abdoulaye Doucouré, milieu malien d’Everton, à la BBC.

L’état de forme des joueurs

Outre-Manche, « on sait qu’ils sont plus ouverts que nous sur le sujet et ça l’a toujours été. Ce serait bien que la France le fasse mais ça ne pose de souci à personne qu’ils ne le fassent pas », a commenté vendredi Didier Digard, l’entraîneur de Nice, qui a précisé : « On est dans un pays laïc, pas dans un pays musulman. »

Chez les Aiglons, où de nombreux joueurs font le Ramadan, le seul point de vigilance concerne l’état de forme des joueurs, possiblement affaiblis par la période de jeûne, selon le jeune technicien.

« On les accompagne du mieux possible. On a un pôle performance de grande qualité. Ils sont suivis au niveau de l’alimentation et de l’hydratation », a détaillé Digard.

Traduction : « Après la décision raciste et provocante rendue par la Fédération française contre la communauté arabe et musulmane résidant en France ce mois sacré, vous apprendrez sûrement cette leçon et donnerez à vos enfants la priorité et non la liberté de choisir leur pays d’origine. On profitera donc du recrutement de jeunes talents plus facilement [en Algérie]. »

Au FC Rouen, premier de son groupe en National 2 (l’équivalent de la 4e division), dix joueurs sont concernés et le discours est le même.

« Les joueurs sont habitués à jeûner depuis de longues années donc ce n’est pas un problème pour eux », raconte l’entraîneur Maxime D’Ornano à l’AFP. « De notre côté avec le staff, la seule différence est sur la vigilance à avoir avec les joueurs concernés durant cette période afin de ne pas aller jusqu’à l’épuisement. »

À Nantes, les joueurs de confession musulmane sont dispensés des repas en commun et de la deuxième séance d’entraînement, les jours à double séance. « Il y a du soutien, il y a de l’écoute », affirme Antoine Kombouaré.

Mais « le jour du match, il ne faut pas jeûner. Il y a beaucoup d’intensité, il faut être prêt. Et ceux qui jeûnent ne sont pas dans le groupe. Je ne veux pas qu’ils se blessent », a dit l’entraîneur nantais pour justifier la non-convocation de Jaouen Hadjam, dimanche face à Reims.

Pour rappel, la FIFA autorise, depuis 2014, la mise en place d’une pause fraîcheur de deux minutes au milieu de chaque mi-temps pour que les joueurs puissent s’hydrater en cas de fortes chaleurs.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].