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Tunisie : vague d’arrestations de chroniqueurs pour des commentaires critiques

La justice tunisienne a décidé dimanche 12 mai le placement en détention de deux chroniqueurs pour des critiques sur la situation du pays, au lendemain de l’arrestation musclée d’une avocate et chroniqueuse poursuivie pour des motifs similaires
L’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani fait l’objet de poursuites en vertu de l’article 54 promulgué en septembre 2022 par Kais Saied pour réprimer la production et diffusion de « fausses nouvelles » mais critiqué par les défenseurs des droits humains car sujet à des interprétations très larges (Facebook/Sonia Dahmeni)
L’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani fait l’objet de poursuites en vertu de l’article 54 promulgué en septembre 2022 par Kais Saied pour réprimer la production et diffusion de « fausses nouvelles » mais critiqué par les défenseurs des droits humains car sujet à des interprétations très larges (Facebook/Sonia Dahmeni)
Par AFP à TUNIS, Tunisie

Deux chroniqueurs à la radio et à la télévision ont été placés en détention dimanche 12 mai pour des critiques de la situation en Tunisie, après l’interpellation musclée la veille d’une avocate et commentatrice pour des motifs similaires.

Interpellés samedi soir, Borhen Bssais, présentateur à la télévision et à la radio et Mourad Zeghidi, chroniqueur, « font l’objet d’un mandat de dépôt de 48 heures », selon l’avocat Ghazi Mrabet. 

« Ils devront comparaître devant un juge d’instruction », a précisé à l’AFP Me Mrabet qui défend Mourad Zeghidi.

Selon l’avocat, son client est poursuivi « pour une publication sur les réseaux sociaux dans laquelle il soutenait un journaliste arrêté [Mohamed Boughalleb, condamné à six mois de prison pour diffamation d’une fonctionnaire] et des déclarations lors d’émissions télévisées depuis février ».

Mourad Zeghidi est commentateur politique et travaille avec Borhen Bssais, qui présente des programmes sur des chaînes de radio et télévision privées.

Les motivations exactes de l’arrestation de M. Bssais ne sont pas établies mais selon l’avocat, il aurait été arrêté en vertu de l’article 54, promulgué en septembre 2022 par le président tunisien Kais Saied pour réprimer la production et diffusion de « fausses nouvelles » mais critiqué par les défenseurs des droits humains car sujet à des interprétations très larges. 

En un an et demi, plus de 60 personnes dont des journalistes, des avocats et des opposants à Kais Saied ont fait l’objet de poursuites sur la base de ce texte, selon le Syndicat national des journalistes.

Depuis que le président Saied, élu démocratiquement en octobre 2019 pour cinq ans, s’est octroyé les pleins pouvoirs lors d’un coup de force en juillet 2021, des ONG tunisiennes et internationales ont déploré une régression des droits et libertés en Tunisie.

Policiers masqués

C’est en vertu du décret 54 que l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani fait l’objet de poursuites et a été arrêtée samedi soir alors qu’elle s’était réfugiée à la Maison de l’avocat.

La scène a été filmée en direct par une équipe de la télévision de France 24 mais sa diffusion a été interrompue par des policiers masqués.

France 24 a dénoncé dans un communiqué le fait que ces policiers aient « arraché la caméra de son trépied » et arrêté pour « une dizaine de minutes » son caméraman. France 24 a condamné « fermement cette entrave à la liberté de la presse et cette intervention brutale et intimidante des forces de l’ordre empêchant ses journalistes d’exercer leur métier ». 

L’Ordre national des avocats a également protesté samedi devant la presse contre « une agression flagrante », exigeant la libération immédiate de Sonia Dahmani et annonçant une grève régionale à partir de lundi.

Lors d’une émission de télévision, mardi, Sonia Dahmani avait lancé d’une façon ironique « de quel pays extraordinaire parle-t-on ? », en réponse à un autre chroniqueur qui affirmait que les migrants venus de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne cherchaient à s’installer en Tunisie, une déclaration jugée par des internautes comme « dégradante » pour l’image du pays.

Par ailleurs, plusieurs ONG d’aide aux migrants ont subi des contrôles la semaine passée et la présidente de l’association antiraciste Mnemty (mon rêve), Saadia Mosbah, a été placée en garde à vue le 6 mai pour des soupçons de blanchiment d’argent.

Saadia Mosbah et son association avaient été en première ligne dans la défense des migrants d’Afrique subsaharienne en Tunisie après un violent discours en février 2023 du président Saied dénonçant l’arrivée de « hordes de migrants clandestins » dans le cadre d’un complot « pour changer la composition démographique » du pays.

Lundi dernier, Kais Saied a répété que son pays « ne sera pas une terre pour implanter ces gens-là » et « veillera à ne pas être un point de passage » et s’en est pris à « des associations et organisations » qui reçoivent selon lui « des sommes astronomiques de l’étranger ».

La Tunisie est l’un des principaux points de départ avec la Libye de l’émigration clandestine vers l’Italie.

Une manifestation à l’appel de la coalition d’opposition Front de salut national (FSN) pour réclamer « des élections libres et équitables » cet automne, et « la fin de la destruction systématique du pays », a rassemblé environ 300 personnes dimanche, selon des journalistes de l’AFP. « Stop État policier » ou « dégage, dégage Kais Saied », scandaient les manifestants.

Par Aymen Jamli.

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