Aller au contenu principal

Atteintes aux libertés de manifester et discrimination religieuse : Amnesty s’inquiète pour les droits humains en France

La situation des droits de l’homme en France a continué en 2023 son « érosion », dénonce mercredi 24 avril Amnesty International dans son rapport annuel mondial
Amnesty International relève dans son rapport que lors de rassemblements, notamment en soutien aux Palestiniens –  quand ils ont été autorisés –, les autorités françaises ont recouru de façon « abusive à la force dans le maintien de l’ordre » (Emmanuel Dunand/AFP)
Amnesty International relève dans son rapport que lors de rassemblements, notamment en soutien aux Palestiniens – quand ils ont été autorisés –, les autorités françaises ont recouru de façon « abusive à la force dans le maintien de l’ordre » (Emmanuel Dunand/AFP)

« La situation des droits humains […] en France se dégrade et la société civile doit être vigilante. Il y a de plus en plus de discours de haine décomplexés », de « plus en plus de remise en cause du droit international […] et c’est vraiment un signe mauvais pour l’avenir de notre pays », a résumé mardi à l’AFP Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France, en marge d’une conférence de presse organisée à Paris dans le cadre de la publication du rapport annuel mondial sur la situation des droits humains dans le monde.

L’ONG basée à Londres s’inquiète notamment des coups portés selon elle à la liberté de manifester. Lors de rassemblements pour contester la réforme des retraites ou le projet de mégabassine (réservoirs d’eau) ou en soutien aux Palestiniens – quand ils ont été autorisés –, les autorités ont recouru de façon « abusive à la force dans le maintien de l’ordre », déplore Amnesty dans son rapport, citant « des dispersions violentes et des matraquages aveugles ».

Invoquant des risques de « troubles à l’ordre public », les autorités locales ont dans bien des cas interdit la tenue de manifestations sans examiner d’autres moyens de faire en sorte que les rassemblements se déroulent de manière pacifique, note Amnesty.

En avril, le tribunal administratif de Paris a ordonné la suspension du dernier d’une série d’arrêtés imposant une interdiction générale de manifester. Le tribunal a considéré que cet arrêté portait « une atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester » et que l’interdiction ne paraissait « ni nécessaire ni proportionnée à la préservation de l’ordre public ».

En octobre, le ministre de l’Intérieur a adressé un message aux préfets leur demandant d’interdire toute manifestation organisée en solidarité avec la Palestine, « ce qui constituait une atteinte disproportionnée et discriminatoire au droit de réunion pacifique ».

Saisi, le Conseil d’État a statué que les préfets devaient apprécier au cas par cas les risques de troubles à l’ordre public. « La force, notamment le matraquage aveugle, a souvent été utilisée en premier recours pour disperser des manifestations », souligne encore l’ONG.

Guerre à Gaza : une députée de La France insoumise convoquée par la police pour « apologie du terrorisme »
Lire

Sur la question de la liberté d’expression, « on demande depuis des années le fait que ces délits d’apologie du terrorisme soient abrogés dans les lois », commente Nathalie Godard, directrice du département Action d’Amnesty International France.

« Il faut limiter la liberté d’expression sur les questions d’appel à la haine, mais l’apologie du terrorisme, c’est une infraction qui est définie de manière extrêmement vague et subjective, et qui donc représente en soi un risque d’atteinte à la liberté d’expression. »

Cette question est de nouveau au cœur de débats politiques après l’annonce de la convocation de la cheffe de file des députés LFI (gauche radicale) Mathilde Panot par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme » ouverte après un communiqué du groupe parlementaire publié le 7 octobre, jour de l’attaque menée par le Hamas contre Israël.

Discriminations raciales

Le rapport épingle aussi la France sur la question des discriminations raciales en relevant que le profilage ethnique par les responsables de l’application des lois reste une pratique courante.

« En France, le Conseil d’État a reconnu que la police procédait à des contrôles discriminatoires, sans toutefois proposer de mesures pour régler le problème », souligne Amnesty, qui s’inquiète de la persistance du « racisme systémique » et de la « discrimination religieuse » notamment à l’égard des femmes et des jeunes filles musulmanes.

France : forte hausse des actes anti-musulmans en 2023, dont plus de la moitié depuis le 7 octobre
Lire

« Des attaques à caractère raciste ont eu lieu toute l’année contre des mosquées, des synagogues et des cimetières ; dans bien des cas, les lieux ont été vandalisés et couverts d’inscriptions racistes et de messages en faveur de groupes politiques extrémistes. Les cas se sont multipliés à la suite de la flambée de violence en Israël et dans la bande de Gaza occupée ; des bâtiments scolaires et des murs ont notamment été maculés d’inscriptions nazies ou antisémites. »

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de l’ONU s’est déclaré préoccupé par la persistance de stéréotypes discriminatoires ainsi qu’un taux de chômage élevé chez les femmes migrantes sans papier, les femmes appartenant à des minorités ethniques ou religieuses, les femmes en situation de handicap et les femmes âgées.

« Ignorant la recommandation du rapporteur public, le Conseil d’État a jugé que la Fédération française de football pouvait maintenir sa politique discriminatoire interdisant de fait aux joueuses musulmanes portant un couvre-chef religieux de participer à des matchs en compétition », résume le rapport.

En octobre, 69 équipes ont demandé l’abrogation de l’interdiction discriminatoire de participation à des compétitions officielles qu’imposait la Fédération française de basketball aux joueuses portant un couvre-chef religieux.

Dans un entretien donné en septembre, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a déclaré que les femmes portant un couvre-chef religieux ne pourraient pas représenter la France aux Jeux olympiques de Paris en 2024.

Une porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme a déclaré que personne ne devrait imposer à une femme ce qu’elle doit porter ou non, et a mis en garde contre les conséquences néfastes de ces pratiques discriminatoires.

En août, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Gabriel Attal, a adressé à tous les chefs d’établissement une circulaire interdisant le port de l’abaya et du qamis dans tous les établissements scolaires publics. La circulaire ne donnait pas la définition de ces termes, alors qu’ils pouvaient s’appliquer à tout un éventail de vêtements amples.

« La police a été déployée devant certains établissements et, une semaine après l’interdiction, des dizaines de jeunes filles musulmanes s’étaient vu refuser l’accès à leur établissement scolaire, en violation de leurs droits à l’éducation et à la non-discrimination », souligne Amnesty.

« Il y a un déni qui reste très fort sur la question des discriminations systémiques par les forces de l’ordre », estime auprès de l’AFP Nathalie Godard, ainsi, selon elle, qu’un « déni qui reste très fort aussi sur l’impact des discours racistes et stigmatisants qui concernent les personnes musulmanes en France ». 

L’ONG énumère d’autres sujets de préoccupation, notamment la situation des femmes et des enfants de nationalité française retenus dans des conditions carcérales dans des camps du nord-est de la Syrie. Elle rappelle que le Comité contre la torture des Nations unies s’inquiète des refus de la France de les rapatrier et des lenteurs entravant le processus de rapatriement.

Amnesty s’alarme par ailleurs de la nouvelle loi autorisant l’usage par les forces de l’ordre de technologies de vidéosurveillance de masse assistée par intelligence artificielle dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques à Paris. Un procédé qui risque notamment d’étendre « de manière excessive les pouvoirs de police en élargissant l’arsenal des équipements de surveillance de façon permanente », redoute le rapport.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].