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Comment les mégaprojets masquent le futur incertain du Maroc

Au lieu de développer de grands projets, le gouvernement devrait investir davantage dans les infrastructures et les services de base afin de combler le fossé entre les classes sociales

Le Maroc est pressé. À Ouarzazate, à la lisière du désert du Sahara, ce qui est considéré comme la plus grande centrale solaire du monde – de la taille de 200 terrains de football – entre en service.

Aux abords de Rabat, la capitale, les fondations de ce que ses bailleurs de fonds prétendent être le plus haut gratte-ciel d’Afrique – et qui sera construit par une société d'État chinoise – sont en cours de construction

« À la place de trains à grande vitesse, que les pauvres n’emprunteront jamais, pourquoi ne pas construire davantage d’écoles et d’hôpitaux ? » 

- Salim, militant marocain

Cet été, commenceront à circuler les premiers trains à grande vitesse d’Afrique, le long de la côte entre Casablanca, le centre économique marocain, et Tanger. Les gares sont en cours de modernisation pour accueillir ces trains, fabriqués en France.

Pourtant, tous ces mégaprojets ne parviennent pas à cacher de graves problèmes. « À la place de tous ces grands projets, nous avons besoin de développer les infrastructures de base », affirme Salim, militant basé à Rabat qui ne souhaite pas divulguer son nom.

« Tous ces contrats de plusieurs millions de dollars reflètent en quelque sorte les ambitions de l’élite et de la famille royale. À la place de trains à grande vitesse, que les pauvres n’emprunteront jamais, pourquoi ne pas construire davantage d’écoles et d’hôpitaux ? Ce que les gens veulent, c’est satisfaire des besoins basiques, comme l’accès à l’eau. Or, pendant que ces grands projets se développent, les conduites d'eau dans tout le pays fuient parce qu’elles sont cassées ».

Miroirs solaires sur le site de la centrale à énergie solaire Noor 1, à près de 20 km du centre-ville d’Ouarzazate, au Maroc, le 17 octobre 2015 (AFP)

L’eau, ou plutôt la pénurie d’eau, est l’un des problèmes critiques du Maroc. Ce pays – tout comme les États voisins d’Afrique du Nord ainsi que certains pays du Moyen-Orient – fait partie de l’une des régions du monde les plus touchées par le stress hydrique.

Les graves sécheresses qui ont frappé le pays ces dernières années ont gravement endommagé le secteur agricole, qui représente 15 % du produit intérieur brut (PIB) et emploie 40 % de la main-d’œuvre nationale.

À un moment donné, le roi Mohammed VI a publié un décret appelant les fidèles des mosquées de tout le pays à prier pour que vienne la pluie.

Crise écologique

Les sécheresses ont provoqué des troubles sociaux. Dans de nombreuses régions, ont éclaté des protestations suscitées par ce qu’on estimait relever de l’inaction du gouvernement et, en novembre l’an dernier, quinze personnes sont mortes piétinées dans des attroupements où des agriculteurs affamés attendaient de recevoir des rations de farine.

Social Watch, réseau international d’organisations citoyennes contre la pauvreté dans le monde, affirme que le Maroc se dirige vers une crise écologique. Un rapport spécial souligne que 35 % des précieuses réserves d’eau du Maroc se perdent à cause du mauvais état du réseau. L’eau est également polluée par les déchets industriels et urbains.

« Dans tout le pays, les terres deviennent de moins en moins fertiles. Les couches arables disparaissent sous les effets conjoints de l’érosion hydrique et éolienne. Les barrages et les réservoirs s’envasent à cause de l’érosion, la salinisation et la désertification. Les zones urbaines s’étendent au détriment des terres agricoles. De grandes quantité de sable s’accumulent dans les zones arides et les oasis, et l’environnement naturel est détérioré par l’exploitation minière et les carrières », explique Social Watch.

Près de la ville de Jerada, des Marocains protestent en brandissant des pancartes en arabe demandant du « travail » (AFP)

Les perspectives sont inquiétantes. Les recherches menées par la Brookings Institution aux États-Unis prédisent qu’en raison de l’impact du changement climatique dans la région, les températures moyennes au Maroc devraient augmenter de 3°C d’ici 2050.

Les précipitations devraient diminuer de 10 %, alors que la demande en eau augmentera considérablement.

Les pompes modernes permettent aux agriculteurs d’aller chercher toujours plus loin leur approvisionnement en eau – jusqu’à des profondeurs de 200 mètres ou plus – mais on redoute que le secteur agricole (qui utilise 80 % du total des ressources en eau) ne tarisse les nappes phréatiques en profondeur.

Maroc vert

Pour faire face aux pénuries d’eau et à l’impact du changement climatique, le gouvernement, dirigé depuis l’année dernière par Saâdeddine el-Othmani, psychiatre et ancien ministre des Affaires étrangères – a présenté son plan Maroc vert.

Le Maroc a accueilli la conférence internationale de 2016 sur le changement climatique et ses politiques environnementales ont été saluées sur la scène internationale. Le plan Maroc vert prévoit un ambitieux programme d’énergies renouvelables, avec pour objectif de produire plus de 50 % de l’électricité du pays d’ici 2030, en combinant énergies solaire et éolienne.

Un élément très controversé du plan Maroc vert : la levée des subventions sur le diesel et les autres carburants afin, selon le gouvernement, d’encourager une utilisation plus efficace de l’énergie

Le gouvernement a également promis de dépenser des millions de dollars pour promouvoir des systèmes d’irrigation plus efficaces et encourage les agriculteurs à planter des arbres fruitiers plutôt que des cultures céréalières, gourmandes en eau, dans le but de promouvoir la conservation de l’eau et d’empêcher l’érosion des sols.

Des plans sont également en cours pour accroître les approvisionnements en eau en construisant ce qui est considéré comme la plus grande usine de désalinisation du monde sur la côte, près de la destination touristique d’Agadir.

Un homme traverse une zone asséchée qui faisait partie de l’oasis de Tafilalet, dans le désert du Sahara, au sud-est du Maroc, près de la ville oasis d’Erfoud, au nord d’Er-Rissani (AFP)

Un élément plus controversé du plan Maroc vert est la levée des subventions sur le diesel et autres carburants afin, selon le gouvernement, d’encourager une utilisation plus efficace de l’énergie. Malgré les protestations, les autorités ont laissé entendre que les subventions seront également supprimées sur d’autres produits de consommation, notamment la farine et le lait.

Les critiques du gouvernement affirment que la suppression des subventions n’a fait qu’aggraver les souffrances des pauvres et que la société marocaine devient de plus en plus inégalitaire. Le chômage, surtout celui des jeunes – près de 50 % des 36 millions d’habitants du pays ont moins de 25 ans – est un problème persistant.

Victimes du changement climatique

Selon les chiffres officiels, le taux de chômage s’élève à un peu moins de 11 %, mais plusieurs signes laissent suggérer des taux considérablement plus élevés, en particulier chez les jeunes. Pour s’attaquer à ce problème, le gouvernement d’Othmani prend un certain nombre de mesures visant à créer une économie plus ouverte et à attirer les investissements étrangers.

Le secteur touristique est en cours de refonte, avec l’ouverture de nouveaux hôtels de luxe, de terrains de golf et d’aéroports. L’industrie minière – élément clé de l’économie, qui représente plus de 10 % du PIB – est en passe de s’ouvrir aux investisseurs étrangers. L’objectif est de tripler les revenus miniers d’ici 2025 et créer 30 000 emplois.

Le problème c’est que tourisme et exploitation minière consomment de grandes quantités d’eau, si précieuse. Les terrains de golf, desséchés par le soleil brûlant d’Afrique du Nord, doivent être constamment arrosés.

Le Maroc possède des ressources minérales en abondance et il est le premier exportateur mondial de phosphates, ingrédient essentiel à la fabrication des engrais. Or, l’extraction et la transformation des phosphates requièrent aussi de grandes quantités d’eau.

Le problème de l’eau n’est pas le seul. Une partie importante des réserves marocaines de phosphates se trouve dans des zones du Sahara Occidental, annexées par le Maroc au milieu des années 1970 mais revendiquées par les Sahraouis – des dizaines de milliers d’entre eux vivant désormais dans des camps de réfugiés de l’autre côté de la frontière algérienne.

À LIRE : Despotisme, néolibéralisme et changement climatique conduiront le Maroc à la catastrophe

L’exploitation marocaine des phosphates dans la région se poursuit, malgré les efforts de la communauté internationale pour la faire déclarer illégale. La construction par Rabat de diverses installations d’énergie renouvelable au Sahara Occidental est également contestée.

Des protestations ont éclaté dans d’autres sites miniers, dont beaucoup appartiennent en fin de compte à des sociétés contrôlées par la famille royale. À Jerada, à l’extrême nord-est du Maroc, des manifestations à grande échelle ont récemment éclaté suite à la mort d’habitants qui, à la recherche désespérée d’une source de revenus, ont trouvé la mort pendant qu’elles tentaient d’extraire du charbon de mines désaffectées.

À Imider (300 km au sud-est de Marrakech), les villageois organisent depuis cinq ans un sit-in dans l’une des plus grandes mines d’argent d’Afrique. Leurs ressources en eau ont été gravement épuisées et empoisonnées par des déchets toxiques.

« Les pauvres sont les premières victimes du changement climatique et de l’injustice environnementale », affirme le cinéaste marocain Nadir Bouhmouch, qui réalise en ce moment un documentaire sur la manifestation d’Imider. « Les endroits les plus pollués sont ceux où vivent les pauvres. »

- Kieran Cooke, ancien correspondant à l’étranger pour la BBC et le Financial Times, collabore toujours avec la BBC et de nombreux autres journaux internationaux et radios.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : la tour Al Noor aura une hauteur de 114 étages (AFP/HO/Middle East Development LLC).

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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