Mon mari, prisonnier de conscience à Bahreïn
Mon mari, cheikh Ali Salmane, est le secrétaire général du parti al-Wefaq, le plus important bloc d'opposition politique du Royaume de Bahreïn. La Haute Cour Criminelle l'a récemment condamné à quatre ans d'emprisonnement pour avoir critiqué notre gouvernement répressif de manière pacifique.
Les autorités ont interrogé mon mari pendant de nombreuses heures avant de l'arrêter officiellement. Il a été convoqué pour un interrogatoire au sujet de « violations de certaines dispositions de la loi » et a plus tard été inculpé pour « incitation publique à la haine et outrage aux institutions publiques ».
Les chefs d'accusation sont un peu ironiques car Ali est la personne la moins haineuse que je connaisse.
Au cours des trois dernières décennies, Ali a œuvré de manière pacifique pour la réforme politique, sociale et économique dans notre pays. Bien que beaucoup de gens connaissent aujourd'hui Bahreïn pour les soulèvements de masse qui y ont eu lieu depuis 2011 et ont vu des dizaines de morts et des milliers de personnes emprisonnées, la seconde moitié des années 1990 s'était également révélée être une période de révolte intense sur notre île.
Le soulèvement a duré de 1994 à 2000. Dès le début, Ali a défendu avec vigueur la réforme, évoquant, dans ses discours publics en tant qu'homme politique local, la corruption du gouvernement, les violations des droits de l'homme et l'autoritarisme. Après avoir demandé le rétablissement du parlement dissous par le gouvernement des dizaines d'années auparavant, les autorités l'ont arrêté lors d'une vague de répression, le 5 décembre 1994.
Il a été renvoyé du pays seulement un mois après, envoyé d'abord à Dubaï puis à Londres. Il est resté en dehors de Bahreïn pendant sept ans.
Depuis son retour à la maison, Ali continue de lutter pour la démocratie à Bahreïn, devenant finalement le chef de notre plus important mouvement d'opposition. Sous sa direction, al-Wefaq lutte pour une distribution équitable des circonscriptions électorales, un gouvernement élu, et la justice et la transparence pour les crimes commis par les forces de sécurité gouvernementales à l'encontre du peuple bahreïni depuis la répression de 2011.
Pendant quatre ans, je l'ai vu lui et les membres de la société civile bahreïnie se battre pour apporter à la population des moyens légitimes et pacifiques d'exprimer son opinion face à un régime farouchement opposé à la réforme et déterminé à punir ceux qui la revendiquent. Le gouvernement refuse régulièrement les demandes d'assemblées et de marches pacifiques formulées par al-Wefaq ; plus d'une fois les autorités ont totalement interdit les manifestations durant des mois d'affilée.
Beaucoup de nos jeunes sont frustrés du manque de réforme, des niveaux élevés de corruption et de l'impunité persistante des auteurs des actes de violence d’État. Lorsque des affrontements éclataient entre la police anti-émeute et des jeunes dans notre village – un événement qui se produit chaque semaine et même parfois chaque nuit à Bahreïn – Ali ne dormait pas avant de savoir qu'aucun jeune n'avait été blessé au cours de la nuit. Si c'était le cas, il allait rejoindre les familles dans les heures qui suivaient.
Mon mari est bahreïni avant d'être un homme politique.
Pour de nombreux nouveaux médias, son accusation est une « escalade » dans les tactiques répressives utilisées par le régime. Amnesty International a qualifié ce verdict de « choquant ».
Je comprends pourquoi les gens disent cela.
Ils disent que mon mari est une « ligne rouge » à ne pas dépasser, une personne si importante pour la stabilité du pays, si estimée par ses habitants, que même une dictature autoritaire ferait mieux de ne pas la prendre pour cible. Mais ici, nous disons la même chose de Nabil Rajab, un éminent défenseur des droits de l'homme aujourd'hui en prison, et de cheikh Isa Qassim, le principal religieux chiite du pays, dont le domicile a été attaqué plusieurs fois.
Il n'y a pas de ligne rouge à Bahreïn.
Bien que l'arrestation, l'interrogatoire, la détention et la condamnation injuste de mon mari aient fait les gros titres, il n'est pas un cas isolé. C'est loin d'être choquant pour nous qui vivons sous le gouvernement répressif de Bahreïn.
Nous avons vu de nos propres yeux nos amis et nos proches disparaître en pleine nuit et rentrer à la maison quelques jours plus tard, portant sur leur corps des traces de torture après avoir été « interrogés » à la Direction des Enquêtes criminelles, simplement pour avoir écrit sur un blog ou participé à une marche pacifique.
Mon mari est persuadé, bien entendu, qu'il s'agit d'une tentative du régime de faire taire un de ses critiques les plus éminents. Mais cela reflète également la persécution subie par des centaines de fervents hommes politiques, journalistes et défenseurs des droits de l'homme à Bahreïn.
Saïd Boumedouha, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnesty International, a déclaré que la condamnation de mon mari était « encore un autre exemple évident du mépris flagrant dont Bahreïn fait preuve envers ses obligations internationales. Cheikh Ali Salmane a été condamné uniquement pour avoir exprimé son opinion de manière pacifique ».
C'est la vérité. Et je suis sûre que mon mari ajouterait : « Je souffre de cette punition, mais des centaines d'autres Bahreïnis en souffrent également. »
- Reema Shallan est l’épouse du chef de l'opposition bahreïnie cheikh Ali Salmane.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le cheikh Ali Salmane, chef du groupe d'opposition bahreïnie al-Wefaq, lors d'un rassemblement contre les élections législatives à venir dans le village de Zinj, au sud de Manama, le 20 novembre 2014 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Laura Smigelski.
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