La frénésie discrète des dépenses nucléaires saoudiennes
Alors que le secrétaire d’État américain John Kerry dirige les derniers efforts du groupe P5+1 (États-Unis, Grande Bretagne, France, Chine, Russie plus Allemagne) pour conclure un accord visant à contrecarrer toute ambition que l’Iran pourrait avoir de construire une arme nucléaire, l’Arabie saoudite dépense frénétiquement plusieurs milliards de dollars sur le marché mondial de la technologie nucléaire.
Le dernier destinataire en date des largesses saoudiennes est la France, qui vient juste de signer un accord que le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius a fièrement présenté comme faisant partie d’un lot « d’une valeur de 12 milliards de dollars », peu avant une cérémonie réunissant le Président François Hollande et le vice-prince héritier et ministre de la Défense saoudien Mohammed ben Salmane.
Les Français et les Saoudiens vont donc étudier la faisabilité de la construction de deux réacteurs nucléaires par Areva, une société française qui peine à exporter son réacteur EPR à l’étranger.
Ceci suit de près un accord de coopération avec la Russie sur le développement de l’énergie nucléaire.
Si l’on ajoute à cela un accord du même type avec la Corée du Sud début mars ainsi que des accords avec la Chine et l’Argentine, il semblerait que les Saoudiens aient bien progressé vers la réalisation de leur objectif ambitieux de construire seize réacteurs nucléaires d’ici à 2032.
Au prix approximatif de 2 milliards de dollars par réacteur, sans compter les accords de maintenance extrêmement lucratifs qui accompagnent les équipements une fois installés, on comprend pourquoi les fabricants mondiaux de réacteurs nucléaires se bousculent aux portes du royaume d’Arabie saoudite.
Les Saoudiens avancent l’argument convaincant selon lequel ils doivent se démarquer de leur dépendance au pétrole pour la génération de leur électricité. Le solaire et le nucléaire seraient dès lors les énergies du futur. Soit. L’Arabie saoudite a en effet une population en pleine croissance et un appétit insatiable d’énergie bon marché, ainsi qu’un mépris décomplexé envers toute considération environnementale.
Jusqu’à présent, le gouvernement s’en est sorti en retirant plusieurs milliers de barils de pétrole du marché mondial afin de générer l’électricité dont il a besoin pour satisfaire un marché national affamé. Le royaume fait par ailleurs face à des défis de taille pour son approvisionnement en eau et l’électricité nucléaire aiderait à faire fonctionner les usines de désalinisation dont il a besoin de toute urgence.
Donc un raisonnement sensé et progressiste, et des réactions responsables de la part d’un gouvernement engagé à satisfaire les besoins de sa population, pourrait-on penser.
Le fait est, toutefois, que c’est peu ou prou ce que les Iraniens maintiennent eux aussi. Sauf que contrairement aux Saoudiens, l’Iran insiste publiquement sur le fait qu’il n’a aucune intention cachée de construire une arme nucléaire. Il n’y aura pas de bombe, affirment les Iraniens. Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, l’a dit lui-même.
Le monde, cependant, a la sagesse de prendre ces déclarations avec des pincettes. L’Iran est une puissance montante animée par un désir puissant et l’intention affichée de défier l’Arabie saoudite dans la lutte pour l’hégémonie régionale. Nous avons donc raison de nous tenir sur nos gardes. D’où l’examen médico-légal des affirmations iraniennes et les demandes sévères d’une surveillance internationale approfondie des installations nucléaires du pays.
Les Saoudiens, pour leur part, ont clairement fait savoir qu’en ce qui concerne la bombe, toutes les options étaient sur la table. Récemment, Nawaf Obaid, un analyste qui reflète régulièrement la politique officielle du gouvernement saoudien, a évoqué dans le Telegraph la « doctrine de défense nucléaire » du royaume.
Il affirme dans son article que l’Arabie saoudite a déjà « la capacité de produire de l’uranium hautement enrichi (HEU), les compétences nécessaires pour ajouter de possibles dimensions militaires (PMD) et les systèmes avancés sur lesquels les ogives nucléaires peuvent être fixées. Elle possède désormais ces trois éléments ».
Se référant à la croyance répandue selon laquelle l’Iran est prêt à se doter de l’arme nucléaire, Obaid conclut que les armes nucléaire sont « vues par les dirigeants saoudiens comme étant absolument nécessaires pour mener à bien leur mission la plus importante : la défense du royaume ».
Même si l’on prend en compte le ton quelque peu hâbleur d’Obaid, il se trouve néanmoins que depuis plusieurs années circulent des rapports sur le fait que les Saoudiens ont « dans leurs tiroirs » un accord avec le Pakistan prévoyant que celui-ci leur fournisse, si la demande lui en est faite, soit la technologie nucléaire nécessaire, soit directement les têtes nucléaires.
S’il est vrai que le gouvernement saoudien a ratifié le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en 1988, l’Arabie saoudite, tout comme l’Iran, n’a toujours pas signé un protocole, adopté en 2005, qui prévoit un régime plus strict d’inspections. Et bien qu’elle supporte officiellement depuis longtemps les appels en faveur de l’établissement d’une zone dépourvue d’armes nucléaires au Moyen-Orient, l’Arabie saoudite n’a toujours pas signé le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, rejoignant ainsi le groupe restreint des pays non-signataires qui inclue la Corée du Nord, l’Inde et le Pakistan.
Si, comme le font valoir de nombreux critiques du Président Obama, l’Amérique et le reste du monde se font mener en bateau par l’Iran qui, selon eux, se dotera inévitablement de l’arme nucléaire, alors les Saoudiens sont peut-être bien avisés de n’exclure aucune option.
Cela dit, le manque de surveillance internationale des accords commerciaux récemment conclus par les Saoudiens, associé à l’opacité du royaume quant à ses intentions réelles dans la tentative de faire face à l’influence croissante de l’Iran dans la région, sont de mauvais augure pour les efforts visant à contenir la prolifération nucléaire.
Dans une région qui s’engouffre à toute allure dans une violence chaotique telle que nous n’en avons pas connue depuis plusieurs décennies, voire depuis toujours, nous devrions sans aucun doute examiner longuement, et sans complaisance, ce que font également les Saoudiens. À moins que nous nous contentions, comme nous l’avons toujours fait avec Israël, de regarder de l’autre côté, confiants de pouvoir nous fier aux bonnes intentions de nos amis et alliés.
- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient, spécialisé dans les politiques du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @BillLaw49.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Président français François Hollande accompagne le ministre de la Défense saoudien, le prince Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz al-Saud, à sa sortie du palais de l’Élysée, Paris, le 24 juin 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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