L’Iranien Ali Khamenei assoit son autorité dans les négociations sur le nucléaire
Tandis que l’échéance du 30 juin devient concrète, tous les acteurs des complexes négociations sur l’avenir du programme nucléaire iranien essaient de bien se placer, avec dans l’idée de s’assurer que leurs conditions soient respectées.
Alors que les négociations entre les diplomates iraniens et leurs homologues du P5+1 sont déjà suffisamment tortueuses, les lignes de fracture dans la politique interne des deux pays qui sont au cœur des négociations (l’Iran et les Etats-Unis) sont probablement de plus en plus marquées, et les positions plus fermes.
C’est particulièrement le cas en Iran, où les mois qui ont suivi l’accord préliminaire de début avril ont été marqués par d’intenses querelles entre factions et entre partis.
Jusqu’à présent, le dirigeant iranien, l’ayatollah et seyyed Ali Khamenei, s’était tenu à l’écart des conflits, laissant en pratique les factions et les lobbies régler leurs comptes.
Cependant, dans une manœuvre conçue avec prudence, le dirigeant iranien s’est jeté dans la mêlée un peu plus tôt dans la semaine, en définissant des objectifs clairs pour l’équipe de négociation iranienne à Vienne, en particulier la levée immédiate des sanctions sur les banques et dans le domaine financier dans l’éventualité d’un accord.
L’intervention d’Ali Khamenei a pour but principal de raviver le moral et l’esprit de lutte de l’équipe négociatrice iranienne, et ne doit pas être envisagée dans le contexte des amers conflits politiques et idéologiques qui ont lieu à Téhéran.
Comme dans le cas des autres situations critiques des vingt-cinq dernières années où la sécurité nationale avait été en jeu, le dirigeant iranien mène ses troupes au service de ce qu’il croit être l’intérêt national.
Querelle de factions
La formulation et la mise en œuvre de la politique étrangère de la République islamique d’Iran sont excessivement influencées par le contexte interne de Téhéran. Pendant trente ans, jusqu’à juin 2009, ce contexte était défini par un système de factions bien réglé et très sophistiqué, qui fonctionnait en l’absence de partis politiques disciplinés.
Souvent décrites dans la presse locale et internationale comme les conservateurs, les réformistes et les principalistes, ou parfois réduites à des expressions plus simples comme les « extrémistes » ou les « modérés », ces factions étaient formées et fragmentées au rythme des priorités politiques et idéologiques changeantes.
Bien que certains organismes conservateurs et réformistes aient émergé, il leur manquait la discipline organisationnelle et le sens de la mission des groupes politiques conventionnels. Toutefois, en dépit de cette déficience, ces factions reformulaient et reconditionnaient — parfois de façon méconnaissable —les politiques conçues par les organes spécialisés, comme les ministères du Renseignement et des Affaires étrangères.
Ce système iranien très particulier a relativement bien fonctionné jusqu’à l’élection présidentielle controversée de juin 2009 et aux troubles qui l’ont suivie, à la suite desquels le système des factions s’est tout sauf effondré. Les soi-disant « réformistes » étant désormais rejetés à l’écart du système, l’Etat sécuritaire iranien est entré en scène afin de combler le vide politique.
La montée de l’Etat sécuritaire a conduit vers une période de cohésion et de clarté sans précédent dans la politique étrangère iranienne, puisque les organes spécialisés ne rencontraient aucun obstacle politique dans leur travail.
L’élection d’Hassan Rohani à la présidence en juin 2013 a marqué le début du rétablissement du système de factions. Le conflit nucléaire, que le gouvernement Rohani a la ferme intention de résoudre, est devenu le point qui focalise tous les contentieux entre factions et toute l’organisation.
De manière plus significative, les négociations de longue durée sur le nucléaire ont provoqué de profondes scissions au sein du camp conservateur, certains de ses membres proéminents allant jusqu’à unir leurs forces à celles de groupes extrémistes l’an dernier, afin de former le camp des dénommés « Delvapasan » (les inquiets). Les « Delvapasan » sont par principe opposés à un accord dans la mesure où ils considèrent que tout accord jetterait les bases d’une plus grande entente entre l’Iran et l’Occident.
Face à la querelle grandissante des factions, et malgré une vive opposition, le Président Rohani et son équipe de politique étrangère ont continué à maintenir leur cap, et ils semblent désormais sur le point de mettre fin au conflit nucléaire, qui a duré une décennie.
La motivation officielle d’Hassan Rohani pour un accord repose sur des arguments économiques solides, en particulier la levée des sanctions qui ont porté atteinte à l’économie iranienne, et qui ont réduit de manière notable le niveau de vie de l’intégralité la société iranienne.
L’implication du Président en vue d’un accord — et pour la levée des sanctions qui en résultera — est si intense que la sécurité de son avenir politique repose sur un accord durable. Sans cela, il est probable qu’Hassan Rohani devienne le premier Président iranien à ne pas réussir à se faire réélire pour un second mandat.
Mais quel que soit l’accord obtenu à Vienne, il devra être suffisamment avantageux (d’un point de vue iranien) pour survivre aux fermes prises de position des factions qui se feront inévitablement autour de la mise en œuvre de l’accord. Et c’est là que l’intervention de l’ayatollah Khamenei est à l’avantage de Hassan Rohani.
Le rôle de dirigeant
Bien qu’il soit instinctivement conservateur, Ali Khamenei se tient généralement au-dessus des conflits entre factions, qui sont caractéristiques de la vie politique de la République islamique. Dans aucun domaine cette approche supra-factionnelle n’a été aussi évidente que sur le dossier du nucléaire, pour lequel Ali Khamenei a travaillé dur afin de définir et de poursuivre l’intérêt national.
En définissant l’intérêt national au sujet du dossier du nucléaire, Ali Khamenei est obligé de prendre en compte quatre groupes fondamentaux : le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), l’administration Rohani, les extrémistes idéologiques, et l’opinion publique au sens large.
Le CGRI est le groupe le plus important, et pas seulement parce que les Gardiens de la révolution contrôlent dans les faits l’ordre nucléaire en Iran. Il est probable qu’Ali Khamenei mette son véto à toute clause de l’accord à laquelle serait implacablement opposé le CGRI, comme l’ouverture des sites militaires à des inspections régulières, ou la divulgation d’informations historiques sensibles relatives au nucléaire.
Tandis que les extrémistes idéologiques trouvent un terrain d’entente avec le CGRI, l’opinion publique est largement alignée avec l’administration Rohani dans la mesure où le peuple accorde plus d’importance à la levée des sanctions qu’à la libre exploitation nucléaire de plein droit.
C’est un exercice d’équilibriste très délicat pour Ali Khamenei, car il lui faut apporter la réconciliation entre, d’un côté, les intérêts fondamentaux et les calculs stratégiques des différentes institutions impliquées, et, de l’autre, les espoirs et aspirations du peuple et du gouvernement qu’il a élu il y a deux ans.
En exerçant une pression constructive sur les négociateurs iraniens, Ali Khamenei tend une main secourable à Hassan Rohani, qui a grand besoin d'assurer l’assise de son pouvoir, et en effet son propre avenir au sein de la République islamique.
Mais, avant tout, Ali Khamenei est en train d’affirmer sa propre position d’arbitre ultime et d’acteur le plus efficace dans cet arrangement diplomatique international particulièrement complexe. Malgré toutes les pressions exercées par les plus grandes puissances mondiales, c’est en définitive Ali Khamenei qui décidera si un accord historique doit se signer à Vienne.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il est le directeur du groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : image de communication fournie par le cabinet du dirigeant suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei (au centre), montrant le Président Hassan Rohani (à gauche), le président du parlement iranien, Ali Larijani (cinquième sur la droite), et des dignitaires de premier ordre, en train d’assister à une prière collective à Téhéran suite à une conférence au cours de laquelle Ali Khameini a réaffirmé les conditions de son pays pour un accord avec les puissances mondiales sur le nucléaire, le 23 juin 2015 (AFP).
Traduction de l'anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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