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Maroc : la mobilisation algérienne vue comme « une très belle leçon pour l’histoire du Maghreb » 

Les Marocains regardent avec « espoir » les manifestations en Algérie en espérant que la frontière entre les deux pays, fermée depuis 1994, sera bientôt rouverte
Le pacifisme et le sens civique des manifestants algériens a beaucoup touché leurs voisins marocains (Reuters)
Par Margaux Mazellier à CASABLANCA, Maroc

Tandis que la mobilisation se poursuit en Algérie contre le président Abdelaziz Bouteflika, qui a récemment annoncé qu’il ne briguerait pas un cinquième mandat et reportait la présidentielle prévue le 18 avril, le Maroc voisin suit les manifestations algériennes avec une certaine précaution.

Les politiques, sur fond de conflits diplomatiques entre les deux nations, refusent de commenter les événements. Le 16 mars, Nasser Bourita, ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération internationale annonçait dans un communiqué : « Le Maroc n’a ni à se mêler des développements internes que connaît l’Algérie, ni à les commenter de quelle que manière que ce soit. Aucune déclaration n’a été faite à aucun média, de manière formelle ou officieuse ».

« Nous sommes tous très admiratifs »

La population marocaine, elle, suit de près et commente jour après jour cette mobilisation. Bien qu’il n’y ait pas eu comme à Paris, à Tunis ou à Montréal, de manifestation de soutien, de nombreux Marocains ont exprimé leur encouragement et leur admiration aux manifestants algériens via les réseaux sociaux.

« Je ne m’attendais pas du tout à tant de civisme et de solidarité de la part du peuple algérien », confie Selma, 23 ans, à Middle East Eye. Cette jeune Casablancaise qui suit avec attention le déroulement de la crise depuis le 22 février admire la façon dont les Algériens manifestent.

Manifestation contre le cinquième mandat, dimanche 10 mars à Montréal (AFP)

« Il n’y a aucune violence, tout le monde marche ensemble, s’entraide et il y a même des gens qui nettoient à la fin de la journée. Avec mes amis, nous sommes tous très admiratifs de ce que nos voisins sont en train d’accomplir. Ça nous remplit d’espoir ! », ajoute-t-elle, émue.

Un avis que partage Maria Daïf, opératrice culturelle indépendante : « Il ne s’agit pas de manifestations animées par la haine mais par la dignité. Le peuple algérien, à qui on a répété sans cesse qu’il ne valait rien, dit aujourd’hui ‘‘Ça suffit !’’. Ils ne le disent pas seulement à Bouteflika mais au système en général ».

Pour Abdelkader Retnani, directeur des éditions La Croisée des chemins, qui a publié trois auteurs algériens cette année, c’est le « véritable Printemps arabe qui  se déroule aujourd’hui » : « La parole se libère. Le peuple algérien se lève d’une voix comme un seul homme. C’est magnifique. C’est une très belle leçon pour l’histoire du Maghreb ».

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Pour Aadel Essaadani, coordinateur de l’association à vocation culturelle Racines, les manifestations algériennes sont « un exemple » pour le monde arabe et pour le monde entier. « Les Algériens n’ont pas réagi avant car le traumatisme de la guerre civile était encore trop frais. Aujourd’hui, par leur civisme et leur humour, ils ont montré qu’ils se sont émancipés. L’humour, créatif et transgressif, est devenu un moyen de résistance collective non violent », analyse-t-il pour MEE.

Un civisme, qui selon lui, a permis de créer du lien entre les couches sociales portées par un même projet commun. « C’est d’ailleurs ce projet commun qui manque aujourd’hui au Maroc », ajoute-t-il.

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Post du rappeur marocain Bahri sur son mur Facebook

« Des islamistes, des Amazighs, des laïcs, des vieux, des étudiants, des chômeurs… qui marchent main dans la main. C’est ça, la beauté de ce mouvement », lance Hassan, 25 ans, qui soutient les protestations algériennes.

Pour le jeune homme, une telle solidarité est impensable aujourd’hui au Maroc : « Lorsque les Rifains se sont soulevés, personne ne les as suivis alors que nous avons les mêmes problèmes qu’eux. On se disait, ‘‘Ce sont les Rifains’’. S’il se passait quelque chose à Agadir ce serait pareil, les gens diraient : ‘‘Ce sont des Amazighs’’ ».

« Un courage inimaginable »

Pour Aadel Essadani, le Maroc n’est « pas encore mûr pour protester de cette façon ». Pourtant, les revendications sont les même dans les deux pays : moins de corruption, de meilleurs services de santé, plus de justice sociale… « En Algérie, la police n’est pas intervenue dans les manifestations. L’armée a dit qu’elle ferait de même. Même chose pour les juges qui ont annoncé qu’ils ne jugeraient pas les manifestants s’ils étaient arrêtés. Ce niveau de courage au Maroc est inimaginable ».

Par ailleurs, pour ce militant, la scène culturelle marocaine est beaucoup moins engagée qu’en Algérie : « Prenez Boualem Sansal, Amazigh Kateb, Soufiane Saidi… Ce sont des artistes vraiment engagés. Au Maroc, nos artistes ne s’impliquent pas ».

Certains Marocains espèrent une amélioration des rapports entre les deux pays et la réouverture de la frontière terrestre fermée depuis 1994. « Je souhaite la liberté d’expression et la possibilité de voyager sans barrière entre les deux pays. Il est inadmissible qu’en 2019, on puisse voir à cinq kilomètres de la frontière entre le Maroc et l’Algérie des grillages pour séparer des pays frères », affirme Abdelkader Retnani.

Pour Maria Daïf, qui lorsqu’elle travaillait pour la fondation culturelle L’Uzine, avait organisé le festival Casalgéria, il faut créer un pont entre les jeunesses des pays du Maghreb davantage conscientes des injustices sociales que les précédentes : « Aujourd’hui, il y a une jeunesse créative maghrébine qui porte un regard nouveau sur son territoire. Ces jeunes sont conscients de ce qu’ils ont et de ce qu’ils n’ont pas. Ils sont en train de couper avec un passif colonial et de mener une réflexion sur leurs réalités et non plus des jugements copiés-collés de l’Occident ».

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