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Jordanie : une grève des enseignants menace de déborder en protestations généralisées

Le gouvernement créé en 2018 après des manifestations massives se heurte aux revendications des enseignants qui réclament le renvoi du Premier ministre. Dans un contexte de crise économique et de répression, d’autres syndicats appellent à rejoindre la protestation
Cinquante-sept enseignants ont été arrêtés lors des manifestations de jeudi avant toutefois d’être relâchés (AFP)
Par Mohammad Ersan à AMMAN, Jordanie

Les pourparlers entre le gouvernement jordanien et le syndicat national des enseignants n’ont jusqu’à présent pas abouti à une résolution, alors que la troisième journée de grève s’est achevée mardi et que le gouvernement semble peu disposé à accorder une augmentation de salaire promise aux enseignants il y a près de cinq ans. 

Lundi, le ministre jordanien de l’Éducation Walid Maani a rencontré Naser Nawasreh, chef adjoint du syndicat national des enseignants. Mais les deux hommes ne sont pas parvenus à trouver une issue à la grève.

Beaucoup espéraient voir cette réunion de trois heures organisée au domicile d’Ibrahim Badour, chef de la commission parlementaire chargée de l’éducation, mettre un terme à la crise qui implique 146 000 enseignants.

En grève depuis dimanche, les manifestants exigent une augmentation de 50 % de leur salaire, comme cela avait été convenu en 2014

Ces derniers, qui ont entamé leur grève dimanche matin, exigent une augmentation de 50 % de leur salaire, comme cela avait été convenu en 2014.

Au lieu de procéder à une augmentation générale, le gouvernement insiste sur le fait que seules les résultats professionnels seront récompensés par une revalorisation.

Dans un communiqué publié samedi sur son compte Facebook officiel, l’Association des enseignants jordaniens – également connue sous le nom de syndicat des enseignants de Jordanie – a déclaré que la grève « d’une durée indéterminée » débuterait ce dimanche et se poursuivrait jusqu’à ce que l’augmentation soit accordée par le gouvernement.

La déclaration appelait les enseignants de tout le pays à respecter les heures de travail officielles mais à ne pas entrer dans les classes, ni à effectuer de tâches officielles.

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Naser Nawasreh a déclaré que l’action de grève était également une réponse à la réaction des autorités aux manifestations de jeudi, lors desquelles plusieurs milliers de personnes ont été empêchées par les forces de sécurité de défiler vers le bureau du Premier ministre Omar al-Razzaz. 

Les manifestants se sont rassemblés près du siège du gouvernement dans la capitale, Amman, malgré une forte présence des forces de sécurité.

Du gaz lacrymogène a ensuite été employé pour disperser une partie de la foule lors d’affrontements avec la police.

Dans un direct sur sa page Facebook, Naser Nawasreh a déclaré que le gouvernement n’avait pas formulé d’offre crédible au cours des pourparlers.

« Ils n’ont pas parlé de l’augmentation de 50 % pour les enseignants. Au lieu de cela, ils veulent éviter nos revendications et, par conséquent, la grève continuera tant que nous n’obtiendrons pas notre augmentation de salaire. »

Contraints de travailler la nuit

Si les enseignants continuent d’insister sur l’augmentation de salaire promise par le gouvernement d’Abdullah Ensour en 2014, la facture s’élèverait à 157 millions de dollars (142 millions d’euros) pour le Trésor jordanien selon les estimations, une somme qui, d’après le gouvernement, n’est pas disponible.

Le salaire moyen d’un enseignant jordanien est de 565 dollars (511 euros) par mois. Son pouvoir d’achat a été réduit à néant en raison de l’inflation et des nouvelles taxes prélevées ces dernières années.

« Les enseignants sont confrontés à une situation économique difficile qui les oblige souvent à travailler la nuit », témoigne Hisham Haisieh, un enseignant de Sahab, un quartier du sud d’Amman, interrogé par Middle East Eye.

Le salaire moyen d’un enseignant jordanien est de 565 dollars (511 euros) par mois

« L’augmentation de salaire ferait grimper le salaire de base d’un enseignant d’environ 200 dollars [181 euros] et son salaire net de 50 à 211 dollars [de 45 à 190 euros] supplémentaires en fonction de l’expérience et du grade de l’enseignant. »

Cinquante-sept enseignants ont été arrêtés lors des manifestations de jeudi avant d’être relâchés.

Samedi, lors d’une conférence de presse, certaines des personnes arrêtées ont accusé les forces de sécurité de les avoir forcées à se déshabiller au cours de leur détention dans l’un des postes de police. 

La prise de mesures à la suite des arrestations est devenue une nouvelle condition en vue d’une fin de la grève. Des appels ont été lancés pour que les auteurs de violations répondent de leurs actes et pour que Salameh Hammad, le ministre de l’Intérieur, soit renvoyé.

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Naser Nawasreh explique à MEE qu’à l’origine, aucune grève « d’une durée indéterminée » n’était prévue avant fin septembre.

« Nous voulions juste organiser une manifestation jeudi devant le siège du gouvernement pour exiger une hausse des salaires en raison de la situation économique difficile », précise-t-il.« Mais les choses ont vite dégénéré lorsque les enseignants ont été attaqués. 

« Nous ne retournerons pas en classe avant que ceux qui ont attaqué nos professeurs ne répondent de leurs actes et que le ministre de l’Intérieur ne soit renvoyé », conclut-il.

Jumana Ghunaimat, porte-parole du gouvernement, a déclaré dimanche que le gouvernement « respect[ait] les enseignants et la profession » mais n’a fait aucune mention de quelconques mesures contre les policiers qui ont attaqué les enseignants.

L’impasse actuelle est similaire à la crise de 2018, lors de laquelle les syndicats professionnels et un public en colère ont protesté contre les décisions économiques du gouvernement de Hani Moulki.

« Le gouvernement a peur »

Ces manifestations ont pris fin avec le limogeage de Moulki et la nomination de Razzaz au poste de Premier ministre.

Mohammad Essa, membre du Parti de l’unité populaire, un parti de gauche, a déclaré à MEE que le gouvernement se livrait avec les enseignants à un affrontement de type « ça passe ou ça casse ». 

« Le gouvernement a peur que le virus des protestations ne se propage dans d’autres secteurs s’il accepte les exigences des enseignants », a-t-il affirmé.

« Cela se produit à une période où un public en colère est mécontent des résultats du gouvernement »

– Mohammad Essa, membre du Parti de l’unité populaire

Ceci pourrait expliquer pourquoi le gouvernement tient tant à empêcher les manifestants de protester devant le siège du gouvernement, par crainte d’une réplique des protestations de 2018, les problèmes économiques en Jordanie n’ayant toujours pas été abordés de manière adéquate.

« Ce gouvernement a été créé après les manifestations de 2018 et c’est une honte qu’il ne veuille pas rencontrer les enseignants qui protestent et qu’il tente de les empêcher de manifester devant le siège du gouvernement », a soutenu Essa.

« Cela se produit à une période où un public en colère est mécontent des résultats du gouvernement et où des activistes qui réclament une réforme politique sont placés en détention. »

Les protestations des enseignants ont déjà incité un certain nombre d’autres syndicats professionnels à demander des améliorations pour leurs membres qui travaillent dans le secteur public. 

Dimanche, Ali Abbous, dirigeant du syndicat des médecins, a donné au gouvernement une semaine pour mettre en œuvre les avantages de 49 à 119 dollars (de 44 à 107 euros) qui leur avaient été promis. 

Samedi, le dirigeant du syndicat des ingénieurs Ahmad al-Zoubi a également appelé le gouvernement à verser une augmentation de 10 % à ses membres employés dans le secteur public.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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