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Moscou et la question palestinienne : de la solidarité idéologique à la rhétorique juridique

Le regard russe sur la question palestinienne a bien évolué depuis le début du XXe siècle. Après la rhétorique religieuse (orthodoxe) de la Russie tsariste et les biais idéologiques (communistes) de l’Union soviétique, la Russie postsoviétique se contente du droit
Le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant palestinien Yasser Arafat lors de leur rencontre au Kremlin à Moscou le 29 mai 2001 (AFP)

Avant de nous intéresser à l’état de la politique « palestinienne » de la Russie de Vladimir Poutine, quelques rappels historiques s’imposent. Dans un livre de 1905 (Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque), Nagib Azoury (1870-1916), fonctionnaire ottoman à Jérusalem et militant nationaliste arabe, consacre un chapitre à la Russie.

Le discours d’Azoury révèle une certaine méfiance à l’égard de la Russie, de son expansionnisme et de ses convoitises sur Jérusalem. L’auteur concède néanmoins que la présence russe a le mérite de contrebalancer la domination ottomane et l’influence du clergé orthodoxe hellène. Ce rôle de puissance alternative sera une constante.

La révolution bolchévique et l’avènement de l’Union soviétique modifient la nature de l’implication russe dans la région. Dès les années 1920 et les années 1930, le sionisme est sévèrement critiqué, perçu comme un mouvement bourgeois et associé à l’impérialisme britannique.

L’Union soviétique et la question palestinienne : un soutien précieux

C’est après la Seconde Guerre mondiale que l’Union soviétique émerge comme une véritable superpuissance. Au moment du Plan de partage des Nations unies (1947), l’antisionisme intransigeant n’est plus d’actualité. Les Soviétiques et leurs alliés votent en faveur du partage et donc de la création d’un État juif.

L’URSS est parmi les premiers pays du monde à reconnaître formellement Israël. Contents de voir les Britanniques malmenés dans la région, les Soviétiques ne tardent pas à déchanter en constatant les partis pris occidentaux du jeune État.

C’est en 1967, au moment de la guerre des Six Jours, qu’a lieu l’autre grande rupture israélo-soviétique

En 1953, les relations israélo-soviétiques sont rompues une première fois, dans un contexte de fortes tensions (attentat contre la mission soviétique à Tel Aviv en février 1953 et campagne antisémite en Union soviétique) mais les choses s’arrangent après la mort de Staline en mars 1953.

En 1956, Moscou condamne fermement l’expédition de Suez menée par les Français, les Britanniques et les Israéliens contre le président égyptien Nasser.

C’est en 1967, au moment de la guerre des Six Jours, qu’a lieu l’autre grande rupture israélo-soviétique. La défaite des armées arabes (et de Nasser lui-même, héros du nationalisme arabe) modifie aussi l’attitude de Moscou vis-à-vis des acteurs palestiniens eux-mêmes.

L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et son chef Yasser Arafat apparaissent comme des interlocuteurs incontournables. Arafat est reçu à Moscou en 1968.

Dans les années 1970, le soutien soviétique s’amplifie. Moscou insiste sur la création d’un État palestinien et reconnaît l’OLP comme le représentant unique du peuple palestinien. À cet appui politique s’ajoute un appui militaire et logistique dont les combattants palestiniens ont bien besoin dans le cadre de la guerre libanaise (1975-1990).

Par ailleurs, les universités soviétiques accueillent beaucoup d’étudiants palestiniens, le plus illustre d’entre eux étant le poète Mahmoud Darwish.

Yasser Arafat à Moscou, en 1977, pour sa douzième visite en URSS (AFP)

L’ère Gorbatchev est davantage marquée par un rapprochement entre Israël et l’Union soviétique. En 1991, peu de temps avant la chute de l’URSS, Gorbatchev rétablit les relations diplomatiques entre les deux pays et permet l’émigration des juifs d’Union soviétique. Israël se retrouve ainsi avec une forte population russophone, un facteur de rapprochement non négligeable.

Mais il n’est pas pour autant question de lâcher les Palestiniens. Gorbatchev encourage Arafat à modérer son discours et à reconnaître Israël. En novembre 1988, l’État palestinien est proclamé à Alger. Quelques jours plus tard, l’Union soviétique et ses alliés le reconnaissent.

À l’automne 1991, l’Union soviétique de Gorbatchev participe activement à la Conférence de Madrid, destinée à amorcer un processus de paix au Proche-Orient. À la fin de l’année 1991, l’URSS n’est plus, au grand dam des Palestiniens.

La Russie postsoviétique et la Palestine : des débuts difficiles

Boris Eltsine et son chef de la diplomatie Andreï Kozyrev, qui participe aux accords d’Oslo, s’intéressent peu à l’OLP et à la question palestinienne. Les choses changent en 1996 quand Ievgueni Primakov, arabisant et fin connaisseur du monde arabe et de la question palestinienne, devient ministre des Affaires étrangères (1996-1998) puis chef du gouvernement (1998-1999).

Vladimir Poutine tarde à s’intéresser au Moyen-Orient et au dossier palestinien

Primakov connaît bien le monde arabe, mais il connaît surtout personnellement plusieurs dirigeants du monde arabe, notamment pour avoir été leur professeur. Certes, Primakov ne révolutionnera pas à lui seul la politique de la Fédération de Russie dans la région, mais c’est un personnage d’autant plus important qu’il sera l’un des principaux conseillers de Vladimir Poutine.

Vladimir Poutine tarde à s’intéresser au Moyen-Orient et au dossier palestinien. En juin 2000, Poutine est absent des funérailles de Hafez al-Assad, par exemple. Le conflit tchétchène (et le parti pris antiterroriste) aurait faussé sa perception du Moyen-Orient et de la question palestinienne.

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Selon un quotidien russe (Kommersant, 20 juin 2001), c’est Ievgueni Primakov qui l’aurait sensibilisé à la question palestinienne en lui rappelant que, contrairement aux Tchétchènes, les Palestiniens ne peuvent revenir sur leur propre sol.

En 2002, la Russie participe à la mise en place d’un Quartet pour le Moyen-Orient (États-Unis, Russie, Union européenne et Nations unies), censé réaliser une médiation dans le cadre du conflit israélo-palestinien.

La Russie de Vladimir Poutine réaffirme son soutien à l’OLP (d’Arafat, puis de Mahmoud Abbas), sans pour autant négliger sa proximité avec Israël. La Russie assume désormais un « pragmatisme » (seuls les intérêts russes comptent) et rejette les préférences idéologiques et les logiques d’alliances. Autrement dit, aucune relation ne doit être sacrifiée pour un partenaire tiers.

L’éternelle alternative

On retrouve cette prudence, mêlée à une certaine ambition, dans la doctrine officielle russe en politique étrangère (le fameux « Concept ») : grâce à son siège au Conseil de sécurité des Nations unies et à l’aide du Quartet (plateforme inefficace sur laquelle la Russie compte toujours), Moscou entend contribuer pleinement à la résolution du conflit israélo-palestinien.

Pourquoi alors, en dépit de cet équilibrisme, les Palestiniens (l’Autorité palestinienne, mais pas seulement) demeurent-ils attachés à leurs bonnes relations avec la Russie ?

La Russie a décidé de mettre le droit international au cœur de sa diplomatie, et cela convient parfaitement au juridisme de l’Autorité palestinienne

D’abord parce que la Russie a décidé de mettre le droit international au cœur de sa diplomatie, et cela convient parfaitement au juridisme de l’Autorité palestinienne (qui lui a permis, en 2012, d’accéder au statut d’État observateur non membre des Nations unies).

Ensuite, parce que la Russie dialogue régulièrement avec les acteurs non étatiques considérés comme terroristes par Israël, qu’il s’agisse du Hezbollah libanais ou du Hamas palestinien. Ce détail en fait déjà une puissance singulière.

Enfin, tout simplement parce que la Russie reconnaît l’État palestinien depuis 1988 et parce que ses dirigeants ont déjà indiqué que la position russe n’avait pas changé (Medvedev en 2011, par exemple).

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Certes, tout cela n’est pas grand-chose. Certes, nous sommes loin de l’époque des relations palestino-soviétiques. Mais il suffit de comparer pour comprendre pourquoi les dirigeants de l’OLP comme du Hamas tiennent encore à rencontrer les dirigeants russes.

Parce que les Américains n’ont jamais été aussi ostensiblement antipalestiniens. Parce que la France et le Royaume-Uni – qui n’ont jamais reconnu l’État palestinien – n’ont rien à offrir. Parce que la Russie condamne (à peine) plus fermement la colonisation en Cisjordanie et le blocus à Gaza.

La Russie n’est certes pas la grande amie de la cause palestinienne. Mais parmi les puissances, elle est perçue comme la seule alternative crédible à une puissance américaine plus biaisée que jamais.

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